LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Un pont sur la brume" - Kij Johnson

L'autre naissance d'un pont.

"Un pont sur la brume" vous parachute dans un univers dont on ne sait s'il est futuriste ou un passé réinventé... c'est en tous cas un ailleurs dépaysant, aussi étrange que familier, au sein duquel nous évoluons le temps d'un événement à la fois bref et porteur de retentissements sur du long terme : la construction d'un pont.

Il s'agit de relier l'Est et l'Ouest de l'empire, séparés par un long fleuve de brume, que seuls des bacs conduits par des passeurs chevronnés, telle la belle et solide Rasali, permettaient jusqu'alors de traverser. C'est le planificateur Kit Meinem d'Atyar qui reprend le projet, resté à l'état de plans depuis la mort du précédent maître d'oeuvre. Un projet d'envergure, puisque le pont, au-delà de la prouesse technique qu'il représente, sera le seul endroit sur 5000 kilomètres où personnes et biens pourront passer d'une rive à l'autre en toute sécurité.

Sa construction puis sa présence induisent de nombreux bouleversements dans l'existence de ses riverains, qui dépassent sa dimension purement matérielle. De fait, sa mise en service va sonner le glas d'habitudes ancestrales... Et le pont rapproche de la capitale ceux qui, du côté Est, se contentaient du relatif isolement dans lequel les plaçait la frontière de brume, profitant d'une certaine indépendance. Même si l'apport économique conséquent est considéré comme bienvenu, ce désenclavement, en rapprochant de l'autorité de l'empire, suscite quelques réticences. 

Le chantier, déjà, modifie la ville comme ses habitants, impulsant au lieu une dynamique nouvelle, enthousiaste et quelque peu frénétique. Les lieux d'habitations et les commerces se multiplient, la population, sur les deux rives, se développe et se diversifie.

"Un pont sur la brume" est ainsi non seulement l'histoire d'une prouesse technique, mais surtout celle d'une aventure humaine, l'auteur s'attardant plus particulièrement sur les personnages de Kit et de Rasali, devenus très proches malgré leurs différences. Lui, passionné par la construction et ce qu'elle a de grandiose, accoutumé à endosser avec ferveur son rôle de changeur de vie, survenant pour modifier l’environnement des autres avant de repartir vers d'autres missions, mesure avec ce nouveau chantier l'intensité de sa solitude. Elle, habitée par la sérénité de ceux qui perpétuent, avec humilité et assurance, une vocation ancestrale, trouve son épanouissement dans la simplicité de l'existence, et dans cette connaissance quasi intime de la brume qu'elle possède.

Texte court, le roman de Kij Johnson n'en est pas moins marquant. D'une part parce que son intrigue intègre, de façon très naturelle, des sujets de réflexion traités avec justesse et sobriété, et d'autre part parce qu'elle imprègne son texte d'une atmosphère très particulière, distillant une angoisse sous-jacente, suggérée par la dimension à la fois surnaturelle et dangereuse de cette brume indomptable et corrosive, vivante et insondable, peuplée d'hideux poissons aux proportions démesurées et de mystérieux géants dont on croit apercevoir, à la faveur d'un mouvement de nuées, l'ombre furtive...

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