LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Les soldats de Salamine" - Javier Cercas

Jeu de miroirs, histoire à tiroirs...

"Les soldats de Salamine" est le roman d'un roman, le récit d'un mûrissement créateur.

Javier Cercas y met en scène son cheminement vers une oeuvre, des prémices de son inspiration -moments pendant lesquels le sujet lui tourne autour-, au moment où c'est l'écrivain qui mène la danse -ou en a du moins l'illusion-, s'emparant de ce sujet pour lui extorquer le sens dont il a d'abord une vague intuition, qui peu à peu se dessine pour enfin devenir évident.

C'est une anecdote qui imprime en lui, subrepticement d'abord, la volonté de se lancer dans un récit. Un récit "réel", comme il le qualifie lui-même, qui puise sa teneur dans des événements véritablement survenus.

Janvier 1939 : Rafael Sánchez Mazas, écrivain et cofondateur de la Phalange, échappe miraculeusement au peloton d'exécution d'une armée républicaine en déroute, et dont il est le prisonnier depuis plus d'un an. Réfugié dans la forêt alentour, il est localisé par un soldat républicain qui lui laisse mystérieusement la vie sauve. 
C'est de la bouche d'un des fils du phalangiste que Javier Cercas entend, six décennies plus tard, cette histoire. Sa rencontre avec ceux que Rafael Sánchez Mazas baptisa les "amis de la forêt", déserteurs républicains qui partagèrent avec lui des moments de clandestinité à la fin de la guerre civile, achève de le convaincre qu'il tient là matière à écrire.

S'ensuit une deuxième partie plus précisément consacrée à Rafael Sánchez Mazas, résultat d'une enquête qui se matérialise par une sorte de "biographie centrée sur un épisode anecdotique mais peut-être essentiel de sa vie". Ce faisant, l'auteur étoffe son "personnage", anti-héros replacé dans le contexte d'une Europe en plein bouleversement politique et idéologique. Mazas, admirateur de Mussolini, trouve dans la doctrine fasciste un moyen de réaliser son rêve : restaurer la grandeur d'une Espagne de condottiere et de poètes que le bolchevisme menace d'anéantir. Il en reviendra, dépité par la balourdise et la médiocrité de ceux qui gouverneront l'Espagne franquiste.

Une fois ce travail achevé, l'auteur -et le lecteur avec lui- réalise que son récit est inabouti, mais peine à en cerner la raison. Il a le sentiment de poursuivre avec l'écriture de cette oeuvre un but inconscient mais précis, qui n'est pour l'instant pas atteint. C'est en rencontrant l'écrivain Roberto Bolaño à l'occasion d'une interview puis d'un échange sur ce roman en cours qu'il trouve finalement la pièce manquante... il s'agit maintenant de percer l'envers du miroir, en partant à la recherche de "l'autre", celui qui, faisant face à Rafael Sánchez Mazas en ce jour de janvier 1393, a choisi de l'épargner.
Le triptyque se conclut ainsi par une dernière partie très émouvante, en forme d'hommage à l'héroïsme anonyme (mais le véritable héroïsme ne l'est-il pas toujours ?)

"Les soldats de Salamine" est un roman à tiroirs, qui entremêle vérité, Histoire, et fiction, qui surtout interroge sur le rôle de cette dernière. La voix de Bolaño nous y rappelle que la véracité des faits importe peu, l'essentiel étant de parvenir à rendre accessible au lecteur le sens que l'on souhaite donner à son oeuvre. 

J'ai personnellement été conquise par le jeu auquel s'adonne Javier Cercas, qui en maîtrise parfaitement les règles...

Commentaires

  1. C'est une lecture ancienne pour moi (pas de traces sur le blog, donc) et qui me laisse un souvenir très confus, je l'avais trouvé un peu "prise de tête", je crois bien me souvenir que j'avais sans cesse envie de l'arrêter, en disant à l'auteur un truc du genre "Bon, tu la racontes ton histoire ..." Il faut dire que je pensais lire un roman historique de facture plus classique, d'où ma frustration ....

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  2. C'est justement ce qui m'a plu, le fait que ce soit la façon dont il va raconter son histoire qui prenne le pas sur l'histoire elle-même. En fait, il nous raconte tout de même une histoire, celle d'une histoire ... J'ai trouvé cette mise en abîme très bien menée et passionnante. Et puis, tu sais, il suffit d'une apparition, même courte, de Bolano (comment s'écrit la tilde sur ce satané Mac ?!) dans un roman, pour aussitôt capter tout mon attention !!

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