LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Du côté de Canaan" - Sebastian Barry

"... et pour quoi d'autre sommes-nous ici, sinon pour ressentir ces minuscules victoires ? Pas les grandes victoires qui broient et tuent le vainqueur. Pas les guerres et les émeutes, mais la grâce salutaire d'une sauce hollandaise qui a échappé à toutes les possibilités d'un désastre culinaire et qu'on étale comme une prière jaune sur un gros pavé de cabillaud, victorieusement".

A quatre-vingt neuf ans, Lilly vient de subir la dernière des pertes d'une longue série, celle qui la convainc qu'il est temps pour elle de quitter l'existence. Son petit-fils, Billy, est mort en Irak, où il était engagé dans les rangs de l'armée américaine. Elle éprouve le besoin, avant de mettre fin à ses jours, de coucher ses souvenirs sur le papier, dévoilant ainsi un passé qu'elle a toute sa vie tenu secret.

Irlandaise, Lilly a dû quitter son pays natal avec Tadg, son fiancé, dans les années 20, suite aux menaces que faisaient peser sur le jeune couple les milices rebelles (Tadg, policier, avait participé à l'embuscade fatale à l'un des leurs). Elle laisse derrière elle une famille aimante amputée d'un frère récemment décédé sur le front, qu'elle ne reverra jamais.

Pendant les seize jours suivant la perte de Billy, elle raconte comment, émigrée clandestinement aux Etats-Unis, elle parvint à y bâtir sa vie, malgré les disparitions successives de tous ceux qui lui furent proches. 

Elle évoque ces années avec un ton distancié, comme si elle ne définissait elle-même qu'en fonction de son rapport aux autres. Mais finalement, ce que l'on retient surtout, c'est d'avoir affaire à une femme sage et solide, qui n'aurait sans doute pas survécu sans la stabilité que lui conférait son humilité tranquille et cette assurance de ceux qui ne se sentent pas obligés de prouver quoi que ce soit.

Ainsi, contrairement aux personnalités qu'elle a côtoyées, souvent fortes et complexes, et qui, dans leur quête d'intensité, se sont brûlées les ailes, elle a su faire face à l'adversité, absorber les vicissitudes de l'existence. Lilly est de ces femmes de l'ombre, respectueuses de l'intimité de l'autre, dont elles savent cependant clairement se dissocier. Elle a été pour ses proches une oreille attentive, qui soutient sans juger. 

"Du côté de Canaan" est un roman à la beauté mélancolique, qui évoque les événements, même les plus terribles, avec une sorte de douceur résignée dans laquelle réside paradoxalement une grande force. De cette force dont pourraient se prévaloir les discrets, construite non pas à coups de colère ou de violence, mais grâce à la constance et la modestie.

Malgré un léger bémol, motivé par l'accumulation de tragédies qui touchent de manière systématique (on finit par s'interroger sur la crédibilité d'une telle succession de pertes) les proches de l'héroïne, je suis personnellement tombée sous le charme de l'écriture de Sebastian Barry, auquel je fixe donc un probable prochain rendez-vous...

Lire les avis de Jérôme et d'Eeguab.

>> Un autre titre pour découvrir Sebastian Barry :

Commentaires

  1. Je me souviens d'avoir aimé mais sans grand enthousiasme...

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    1. J'ai personnellement préféré ce titre à "L'homme provisoire". L'écriture de Barry m'a vraiment emporté... quelle poésie, quelle justesse !

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  2. Content que ça t'ait plu. J'ai lu du même Sebastian Barry Les tribulations d'Eneas McNulty et Un long long chemin (ce dernier a été chroniqué). Bonne journée.

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    1. Je note, je note... ce Sebastian Barry mérite vraiment le détour !

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  3. Je n'ai pas lu celui-ci mais un autre sur la guerre de 14-18. Une très belle plume, oui.

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    1. Je n'en ai pas encore terminé avec cet auteur, dont l'écriture donne à ses romans une douceur poétique et mélancolique..

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  4. Bonsoir Inganmic, n'ayant pas été totalement convaincue par L'homme provisoire (trop déprimant à mon goût). Je n'ai pas eu envie de lire ce roman précédent. Bonne soirée.

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    1. L'histoire de celui-là aussi est plutôt déprimante, mais la narratrice l'est moins que le héros de L'homme provisoire...

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