LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Black Neon" - Tony O'Neill

Du glauque servi comme de l'ordinaire...

Cela commence par le récit d'une journée de merde -une de plus- dans la vie de Genesis, prostituée et toxicomane de vingt-six ans, qui en l'espace de quelques heures, se fait violer par des étudiants, tabasser par l'un de ses fournisseurs, puis voit ce dernier se faire abattre de quatre balles dans le buffet par une créature manchote et tatouée qui a miraculeusement fait son apparition au moment où elle se faisait méchamment bastonner.
... Fin du premier chapitre, et naissance d'un doute en moi, à la lecture de cette entame quelque peu carnavalesque : le fait d'avoir entre les mains un roman publié par les soins des Editions 13e note est-il un gage certain de qualité ?

Puis tout s'est enchaîné... son écriture d'une sécheresse efficace, et son découpage en courts chapitres au cours desquels nous suivons alternativement des personnages plus déjantés et/ou plus glauques les uns que les autres, confère à "Black Néon" un rythme qui devient rapidement très prenant, et nous pousse à tourner page après page...

Hormis Genesis et sa nouvelle amie Lupita (la tueuse à un bras), nous faisons connaissance avec un autre duo, composé de Jeffrey l'irlandais et de Rachel le trans, deux junkies qui ne savent plus comment gagner l'argent nécessaire à l'achat de leurs doses de cristal meth et d'hormones pour Rachel...
... de Randall, rejeton d'une richissime famille ayant fait fortune dans le cinéma, et qui a accepté, sous la menace fraternelle de se voir privé de son héritage, de se désintoxiquer des diverses substances dont il est dépendant...
... de Jacques Seltzer, artiste français rendu célèbre par ses photos trash et par l'unique film qu'il ait jamais tourné, qui a suscité autant de dégoût que d'admiration. "Black Neon" est d'ailleurs le titre de la suite, qu'il prétend depuis des années avoir l'intention de réaliser, à ce film. Financièrement aux abois, son agent, Gibby, parvient enfin à le convaincre de concrétiser ce projet, qui a pour ambition de dévoiler l'envers du rêve américain, de voir ce que Los Angeles -où se manifeste la preuve que l'humanité, pourrie, est à bout de parcours-, a dans les tripes... Il s'avère assez rapidement que tout ceci n'est qu'un prétexte pour permettre à Jacques de s'immerger dans les bas-fonds de la ville, afin de s'y livrer à une interminable orgie. 

Le récit est une suite d'épisodes à la fois glauques et grotesques où s'amoncellent pèle-mêle drogues, sexe et alcool, de scènes accumulant avec une certaine facétie tous les clichés du genre : motels sordides grouillant de cafards, riches sans scrupules s'autorisant toutes les perversions, antres de toxicos meublés de canapés défoncés et effroyablement sales... 
Tony O'Neill ne fait ni dans la dentelle, ni dans la poésie ; il déroule son intrigue de manière froide et factuelle, dotant le quotidien de ses paumés qui brûlent leur existence d'une sorte d'horrible banalité. La plupart de ses personnages eux-mêmes ne perdent d'ailleurs pas de temps en considérations existentielles. Mus par l'impératif immédiat et pragmatique de la nécessité de se procurer leur prochaine dose, c'est comme s'ils n'avaient jamais été que ça : des minables accros à la drogue, condamnés à toutes les compromissions pour servir leur addiction. Et si une bouffée de désespoir affleure parfois, c'est alors de manière anecdotique et fugace (sous la forme de la contrariété provoquée par la perte d'une dent de plus en mangeant une pizza, par exemple).

Sans doute "Black Neon" n'est-il pas, dans son genre -trash, désabusé et cynique-, un roman révolutionnaire, mais il a, incontestablement, quelque chose qui accroche... sans doute cette dynamique, très maîtrisée, qui fait que l'on ne s'ennuie pas une seconde, ainsi que cette dimension à la fois épique et pitoyable que finissent par acquérir ses tristes héros, et qui finalement nous les rend attachants.

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